Pour résoudre la crise du logement au Canada, il faut remédier à l’inadéquation entre l’offre et les besoins.
Pendant trop longtemps, nous nous sommes concentrés à construire plus haut et plus loin (de grandes maisons coûteuses loin des grands centres, ou bien de petites unités très chères dans de hautes tours), avec pour résultat d’avoir négligé des segments essentiels du parc locatif nécessaire pour répondre aux besoins de ménages aux revenus et aux tailles variés.
Des unités invendues pendant une crise du logement
Voici une différence frappante : cette année, le taux moyen d’inoccupation des logements locatifs dans l’ensemble du pays a atteint son niveau le plus bas depuis 1988, année où la Société canadienne d’hypothèques et de logement a commencé à recueillir des données.
En revanche, le stock d’unités invendues dans la région du Grand Toronto est le plus important depuis sept ans et les ventes sont les plus faibles depuis la crise financière. Le stock d’invendus est présent tout au long du processus de développement, depuis les ventes sur plans jusqu’aux unités achevées.
Des milliers de condos approuvés n’ont même pas été mis en vente. La société de données Urbanation a constaté que 60 projets comprenant 21 500 unités dans la région du Grand Toronto ont été mis sur pause indéfiniment depuis 2022.
Les données d’Altus montrent que les ventes de maisons sont également à la traîne. Les nouvelles maisons unifamiliales achevées dans la région du Grand Toronto ont chuté de 62 % en mai par rapport au même mois de l’année dernière, ce qui suggère que les promoteurs des marchés des immeubles de faible et de grande hauteur attendent que les stocks soient absorbés avant de construire davantage.
Un manque de logements abordables et des loyers qui explosent
Les revenus des ménages et les loyers ne concordent pas. Une étude de l’université de Colombie-Britannique a révélé que 20 % des ménages canadiens n’ont pas les moyens de payer des frais de logement, charges comprises, supérieurs à 1 050 $ par mois, tandis que 20 % d’entre eux ne peuvent pas payer plus de 1 600 $ par mois.
À titre de comparaison, le loyer moyen demandé sur le marché national est de plus de 2 200 $, les appartements d’une seule chambre à Vancouver et à Burnaby atteignant respectivement 2 700 $ et plus de 2 500 $.
Cet écart entre ce que les ménages peuvent se permettre et ce que le marché peut facturer ne peut être comblé par notre faible offre de logements sociaux (logements publics ou « logements communautaires »), qui représentent environ 3,5 % du parc de logements existant, alors que 95 % se trouvent sur le marché privé. La liste d’attente pour un logement subventionné est de 12 ans à Toronto et de 8 ans à Montréal.
Pendant ce temps, en Ontario, une proposition de loi pourrait obliger les municipalités à étendre leurs limites urbaines sur des terres agricoles, des espaces verts et des milieux humides (en dehors de la ceinture verte protégée) pour y construire de grandes maisons que peu de familles peuvent s’offrir.
La bonne nouvelle c’est que nous pouvons saisir l’occasion, qui se présente une fois par génération, de commencer à remédier à cette inadéquation.
L’inadéquation la plus alarmante est peut-être celle qui ressort des recherches de l’expert en logement Steve Pomeroy sur la perte de logements abordables : au cours des 10 dernières années, le Canada a perdu 10 logements abordables pour chaque nouveau logement construit. Par conséquent, la première étape pour résoudre la crise du logement est de préserver notre parc de logements abordables de la financiarisation et de la démolition.
Construire pour les occupants, pas pour les investisseurs
Une partie du problème réside dans le système de financement du développement, qui oblige les promoteurs à prévendre la plupart de leurs unités pour obtenir le financement des prêteurs. Lorsque les taux d’intérêt sont bas et que les prix de l’immobilier ne cessent d’augmenter, la demande des investisseurs est élevée. Depuis au moins 2018, la région du Grand Toronto compte plus de grues dans le ciel que n’importe quelle autre ville d’Amérique du Nord.
Notre dépendance à l’égard d’un marché immobilier dominé par les investisseurs a fait grimper les prix partout, les acheteurs finaux étant contraints de faire des offres de plus en plus élevées pour rivaliser avec ceux qui ont les poches plus profondes. Les investisseurs influencent également les types d’unités construites — principalement des appartements d’une chambre, des studios ou des microcondos dans des gratte-ciels qui optimisent la rentabilité.
Non seulement ces petits appartements ne correspondent pas aux besoins de nombreux ménages, mais si les municipalités continuent d’atteindre leurs objectifs de densification avec de petites unités dans de très grands immeubles, cela peut accroître l’étalement urbain et augmenter les émissions de gaz à effet de serre parce que les maisons individuelles dans d’anciens secteurs agricoles où la voiture est indispensable deviennent la seule option accessible de logement familial de trois chambres à coucher.
Rediriger les ressources aux bons endroits
Même si la construction conventionnelle ralentit, les gouvernements peuvent réorienter une partie de leurs financements et de leurs incitations vers des segments non traditionnels du système de logement, ne serait-ce que pour s’assurer que nous ne perdons pas de gens de métier.
Ces dernières années, la pénurie de travailleurs qualifiés a contribué à la crise du logement au Canada. Or, le recul de la construction résidentielle entraîne des pertes d’emplois dans les métiers spécialisés. Selon les experts, cette tendance risque d’inhiber l’apprentissage nécessaire pour alimenter ce réservoir de main-d’œuvre essentiel.
Le nouveau plan fédéral pour le logement prévoit une série de mesures incitatives, telles que la suppression de la TPS, afin de stimuler la construction de logements locatifs spécialisés qui peuvent contribuer à compenser les taux d’intérêt élevés.
Cependant, une analyse distincte de Pomeroy démontre que l’initiative fédérale de financement de la construction de logements locatifs produit des unités locatives dont le prix est égal ou supérieur à celui du marché.
Développer le logement sans but lucratif
Nous pouvons profiter de ce moment pour construire plus de logements locatifs abordables et accessibles, non seulement en subventionnant directement la construction de plus de logements sociaux, mais aussi en finançant des promoteurs sans but lucratif, des coopératives de logement, des fiducies foncières et des sociétés de logement communautaire.
Ce secteur peut réduire les coûts de 20 à 25 % en diminuant considérablement la marge bénéficiaire normalement prévue pour les projets de développement.
Le Conseil d’action sur l’abordabilité de l’Institut de recherche en politiques publiques recommande d’ajouter ces économies à d’autres initiatives telles que le financement fédéral préférentiel, l’accès prioritaire aux terrains publics, les subventions à la construction et toute une série de mesures incitatives déjà destinées au secteur privé.
Par exemple, les coopératives pourraient construire des communautés à revenus mixtes avec une gamme de logements dont le prix est adapté aux ménages à revenus faibles ou moyens.
Viser le milieu manquant
Nous pouvons également redéployer la main-d’œuvre et les ressources pour construire des milliers de logements secondaires, de multiplex, de maisons de ville et de petits immeubles d’appartements dans les quartiers résidentiels urbains et de banlieue existants, ce qui est désormais possible grâce au redécoupage du zonage dans la plupart des municipalités.
Cependant, un effort concerté de tous les niveaux de gouvernement est nécessaire pour éliminer une myriade d’obstacles secondaires afin de rendre le milieu manquant rentable et reproductible, comme les innovations en matière de financement et d’hypothèques, les designs préapprouvés et les programmes municipaux à service complet avec l’aide du Fonds pour accélérer la construction de logements.
Bien qu’ils soient souvent considérés comme insignifiants, les logements faisant partie du milieu manquant peuvent s’additionner. L’année dernière, les logements accessoires représentaient jusqu’à 22 % du nombre total de permis de construction à Guelph et 18 % à Waterloo. En augmentant la part du milieu manquant dans nos communautés, nous offrons aux familles des alternatives accessibles et adaptées aux maisons unifamiliales plus dépendantes de l’automobile.
Recycler les maisons unifamiliales des aînés
Enfin, le Canada compte huit millions de maisons unifamiliales, dont la plupart sont occupées par des générations plus âgées qui quitteront leur logement à un moment ou à un autre.
Si une stratégie de logement pour les personnes âgées pouvait être élaborée pour construire des logements dans lesquels les Canadiens vieillissants veulent vivre — par exemple, de petits logements collectifs ou des copropriétés — davantage de personnes âgées déménageraient probablement plus tôt et par choix, libérant ainsi des millions de maisons individuelles pour les familles plus jeunes et les nouveaux arrivants.
Le logement ne se résume pas à un nombre d’unités. Ce que nous construisons, où et pour qui, est aussi important que la quantité. Nous devons cibler l’offre de logements appropriée tout en créant des communautés habitables. Il est grand temps de s’y mettre.