Cet article a été initialement publié dans le Hill Times le 13 mars 2024
Avec l’inflation qui commence à baisser, beaucoup semblent croire que la crise de l’abordabilité touche à sa fin. Ce n’est pas le cas pour les personnes à faibles revenus, qui resteront coincées entre les coûts élevés des nécessités de base et les salaires et avantages sociaux qui n’ont pas suivi l’inflation.
Même si la Banque du Canada parvient à ramener l’inflation globale à une hausse de 2 % d’une année à l’autre, les prix resteront bien plus élevés qu’ils ne l’étaient il y a trois ans.
Les coûts des besoins de base tels que le logement, la nourriture et l’énergie sont peut-être aussi les plus difficiles à contrôler, étant donné la dynamique complexe qui existe tant du côté de l’offre que de la demande. En concentrant les efforts uniquement sur les prix, on ne tient pas compte du fait que certains ménages ne disposent tout simplement pas d’un revenu suffisant pour couvrir les coûts des produits de première nécessité.
En ce qui concerne le logement, la Banque du Canada a reconnu que les taux d’intérêt ne suffiraient pas à faire baisser les prix. Le problème fondamental est qu’il y a trop de gens et pas assez de logements. Tous les niveaux de gouvernement doivent intervenir pour que des logements soient construits le plus rapidement possible en s’attaquant aux obstacles auxquels se heurtent les promoteurs privés et à but non lucratif. Ils doivent également se pencher sérieusement sur la demande.
Les prix des denrées alimentaires méritent aussi une analyse plus ciblée. La guerre en Ukraine a provoqué une flambée des prix des céréales qui s’est répercutée dans le monde entier en 2022. Les changements climatiques font également des ravages sur les prix des denrées alimentaires. La sécheresse qui a sévi en Californie en 2022 a contribué à ce que les Canadiens paient leurs légumes frais 11 % plus cher que l’année précédente. La sécheresse au Brésil a entraîné une hausse des prix du café et du sucre, et celle attendue dans les Prairies canadiennes cet été pourrait contribuer à maintenir les prix des denrées alimentaires à un niveau élevé. Les hausses de taux d’intérêt et les reproches adressés aux détaillants en alimentation n’aident pas les familles qui luttent actuellement pour mettre de la nourriture sur la table.
Alors que de plus en plus de Canadiens ont du mal à faire leurs courses après avoir payé leur loyer et leurs factures de services publics, les gouvernements ne peuvent plus se contenter d’une approche attentiste. Les prix de la nourriture et du logement sont au moins 20 % plus élevés qu’en 2021. Près de 7 millions de personnes au Canada, dont 2 millions d’enfants et 40 % des mères célibataires, vivent dans l’insécurité alimentaire et le recours aux banques alimentaires a augmenté de 80 % depuis 2019. Les effets à long terme de l’insécurité alimentaire sur les familles et les enfants devraient suffire à tirer la sonnette d’alarme.
Les gouvernements doivent intervenir pour s’assurer que les revenus sont suffisants pour mettre de la nourriture sur la table. Récemment, le Conseil d’action sur l’abordabilité a recommandé de restructurer et d’élargir le crédit pour la TPS/TVH destiné aux ménages à faible revenu et de le renommer « Allocation pour l’épicerie et les besoins de base ».
Les prix de l’essence et les coûts du chauffage domestique sont également au cœur des préoccupations de nombreux Canadiens. Les prix de l’énergie ont été l’un des principaux moteurs de l’inflation, même s’ils se sont modérés au cours de la dernière année. Les perspectives à long terme pour les prix du pétrole et du gaz naturel risquent toutefois d’être marquées par la volatilité. Cette réalité sera très difficile pour les ménages à faible revenu, qui ont tendance à vivre dans des maisons plus inefficaces du point de vue énergétique et qui ne sont pas en mesure d’assumer les coûts initiaux associés à en améliorer l’efficacité ou à passer à des solutions de remplacement telles que les thermopompes et les voitures électriques.
Au Canada, les gouvernements ont largement manqué de vision globale et à long terme sur l’abordabilité de l’énergie. Les solutions temporaires proposées, telles que la suspension de la taxe carbone sur le chauffage au mazout, risquent d’aggraver la situation des ménages à faible revenu en raison de la perte des remboursements. Elles n’aideront pas non plus les ménages à long terme, étant donné que les forces du marché mondial sont les principaux moteurs des prix du pétrole et du gaz naturel.
Les véritables solutions durables aux prix de l’énergie sont celles qui aident les ménages à réduire leur consommation d’énergie, à améliorer l’efficacité de leur logement et à réduire leur dépendance à l’égard des combustibles fossiles aux prix volatils. Le soutien des gouvernements à la rénovation écoénergétique pour les ménages à faibles revenus, aux thermopompes et aux transports en commun est bien plus efficace que des modifications fiscales temporaires. Les gouvernements devraient également faire davantage pour s’assurer que les maisons construites aujourd’hui sont adaptées à l’avenir, qu’elles dépendent moins des combustibles fossiles et de la voiture, et qu’elles sont plus résistantes aux risques croissants liés aux changements climatiques, tels que la fumée des incendies de forêt, les inondations et les vagues de chaleur. Sinon, les logements construits présentement placeront les Canadiens devant des décennies de crises récurrentes en matière d’abordabilité.
Dans la lutte actuelle contre l’inflation, les banques centrales et les gouvernements devraient travailler en tandem pour mieux comprendre les facteurs sous-jacents à l’augmentation des prix, pour analyser les sources potentielles de volatilité des prix à l’avenir et pour définir des mesures claires à prendre, tout en tenant compte des réalités des familles à travers l’éventail des tranches de revenus.
L’un des rôles les plus importants des gouvernements est de veiller à ce que leurs citoyens aient un toit au-dessus de leur tête et de la nourriture sur leur table. Il est temps qu’ils interviennent de manière plus audacieuse, plutôt que de s’en remettre uniquement à la Banque du Canada.
Yasmin Abraham est présidente et cofondatrice du Kambo Energy Group et membre du Conseil d’action sur l’abordabilité.
Lisa Rae est directrice du changement de système à Prosper Canada et membre du Conseil d’action sur l’abordabilité.
Rachel Samson est vice-présidente à la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques, une des organisations fondatrices du Conseil d’action sur l’abordabilité.